Les vidéos « confinement » qu’on a du subir

Retour sur 2 mois de souffrance audiovisuelle.

En bon artisan d’une activité qui n’a rien d’essentiel à la survie de l’humanité, je suis resté confiné chez moi bien au chaud, à trainer sur Internet, manger, dormir, et nettoyer les cacas de mes enfants. Dans cet article on va aborder les détails du premier point (et pas du dernier, rassurez vous).

Mes tournages ayant tous été annulés pendant cette période, j’ai regardé ce qui se faisait en termes de vidéo un peu partout, et à tous les niveaux, que ce soit au niveau amateur ou professionnel.

Youtubeurs et créateurs indépendants

Je crois qu’on peut isoler deux grands types de vidéos confinements.

D’un côté, nous avons eu droit à une pelletée de pseudo courts-métrages post-apocalyptiques ayant pour pitch « le coronavirus a fait tout péter, maintenant on a des jeunes en jean qui se tapent dessus avec des flingues en plastique dans la forêt ». Je ne mettrai pas d’exemple ici, car c’est globalement inintéressant : c’est totalement improvisé, filmé avec le cul, sans queue ni tête. Et en pleine pandémie mondiale, c’est exactement le genre de film dont on n’a pas besoin.

D’un autre côté, on a les vidéos pleines d’espoir, oniriques, quitte à être totalement déconnectées de la réalité :

Une belle voix off, une réflexion profonde, de la poésie, de l’amour. Mais bon, ce sont surtout deux branleurs qui s’emmerdent dans leur appartement au dernier étage avec vue à 360 degrés (no offense, je m’estime moi-même privilégié dans cette crise). Il y a dans ces vidéos un petit air d’indécence par rapport à la souffrance que d’autres peuvent subir. Comme dans cette vidéo :

J’admire la qualité technique de la vidéo, mais sur le fond, dire à son audience que les temps actuels sont parfaits pour stimuler sa créativité, c’est oublier que les gens peuvent avoir des problèmes un peu plus importants que ça. Et finir sa vidéo sur un mélange de placement de produit et de docu fiction avec sa propre famille, faut oser le faire.

Et puis vous avez vu cette constante chez les masques des influenceurs ?

Ils ont des masques MAGNIFIQUES. Regardez moi ce tissu, ces coutures, ces petits motifs en plastique, cette belle couleur noire badass. Pendant ce temps je me balade avec mes horribles masques chirurgicaux en papier bleu jetables qui me font des oreilles de Simplet. On dirait qu’on m’a scotché la tronche. Lui il est beau, relaxé, et il a un masque de star, qui ne filtre probablement rien. On se demanderait presque si les influenceurs ne seraient pas centrés sur leur image avant tout, ça serait fou.

Les pauvres VS les riches

Attention théorie fumeuse en approche : je trouve que la façon dont les vidéastes traitent le sujet du Covid révèle leur niveau de richesse. Plus les gens sont pauvres, plus ils sont pessimistes. Plus ils sont riches, plus ils sont optimistes.

Tous les courts-métrages à base d’apocalypse Covid/zombie/nucléaire semblaient réalisés par des gens aux revenus modestes : c’est simple à voir, vu que c’était tourné chez eux. Caméras pourries, éclairages moisis, appartements d’étudiants. A l’inverse, toutes les vidéos perchées à base de motivation, optimisme, joie de se ressourcer seul avec soi-même, prendre du temps pour lire de la merde, cela venait de gens pétés de thunes vivant dans des maisons de bourgeois. La vie est plus facile pour certains que pour d’autres. Et je m’inclus volontiers du côté des connards : j’ai fait un mini film d’une minute mettant en scène mon chat et mes enfants. Faut vraiment avoir aucun problème dans la vie pour prendre le temps de faire ça.

Profiter des villes désertes

Tout vidéaste amateur ou professionnel y a pensé au moins une fois pendant le confinement : personne dans les rues, il faut sortir filmer n’importe quoi pour en profiter, pour faire des images uniques. Quelques uns l’ont vraiment fait :

Comme pour Make Art Now, c’est très beau, très bien produit, et j’ai pris du plaisir à regarder ça. Mais on ne va pas se mentir : ce sont des vidéos surtout faites pour s’amuser (ce qui est très bien). Et je comprends ceux qui les ont faites : si je n’avais pas eu d’autres choses à gérer, j’aurais remué ciel et terre pour tourner quelque chose dans les rues de Lyon, pour le fun, en prétextant un quelconque message d’espoir ou de paix pour la ville. Ces vidéos manquent de fond, car nous manquons de recul sur cette crise. Impossible d’écrire, tourner et monter une vidéo pertinente en deux mois, alors que les emmerdes ne sont pas terminées. Mais ce point là, j’y reviendrai plus loin dans l’article.

Les films en préparation

Le pire est à venir : il faut s’attendre à voir déballer des comédies de merde avec le confinement en toile de fond. Peu importe le fait que personne ne veule voir ça, des gens vont croire que c’est une bonne idée.

J’ai vu passer un tweet d’un lecteur de scénarios qui relatait une hécatombe : une grande partie des scripts qu’il a reçus faisaient allusion au Covid, de manière totalement improvisée. Cette discussion est aussi un bel exemple de ce qui nous attend.

Comment relater le Covid correctement

Les meilleurs films qui parleront du Covid et du confinement sont ceux qui n’en parleront pas directement. Exemple avec War of the Worlds de Steven Spielberg, notamment dans cette scène :

Tom Cruise | Cinematic Visions

Tom Cruise est recouvert de poussière suite à une attaque surprise d’aliens. Comment ne pas penser à ces images du 11 septembre ?

Le film étant sorti 4 ans après les attentats, j’avais trouvé la symbolique un peu lourde à l’époque, pas très finaude. Mais je pense finalement que cela vieillit bien avec le temps : une fois que le contexte s’éloigne dans le temps, que l’on a tendance à oublier ces images historiques, la référence parait très forte et permet de stimuler notre mémoire.

Ainsi, sans faire un film sur le 11 septembre, Spielberg a fait un film qui raconte à quoi ça ressemble de vivre le 11 septembre. Il avait déjà fait un peu la même chose avec l’intro de Saving Private Ryan :

Omaha Beach | Saving Private Ryan Wiki | Fandom

Bon, certes, cette fois, il a bien traité le sujet frontalement. Mais la configuration des lieux et le déroulement des événements dans le film diffèrent de la réalité : un film n’a pas vocation à être un documentaire ou une reconstitution. Le débarquement ne s’est pas passé exactement comme le film le raconte. En resserrant les événements et la géographie, Spielberg a intensifié le débarquement pour que l’on imagine la panique et la confusion qui régnaient dans l’esprit des soldats.

Le confinement, c’est chiant

Restent deux problèmes majeurs pour traiter le confinement en fiction :

  • c’est chiant ;
  • ça a été vécu par tout le monde.

A partir de là, sachant que l’on préfèrerait passer à autre chose, quel intérêt d’en parler ?

Il est trop tôt pour savoir ce que nous pouvons retirer d’intéressant de cette période. Il se peut même que nous ne nous souvenions de rien. Car seul le recul sur les événements nous dira ce qu’il est vraiment pertinent de retenir et de noter comme effet sur nos vies à long terme. Est-ce que le port du masque dans certaines situations deviendra la norme comme c’est le cas depuis longtemps en Chine ? Va-t-on arrêter pour de bon de se faire la bise ? D’où le fait que je trouve que les vidéos faites dans l’urgence du confinement ne racontent pas grand chose, car elles ne savent pas encore quoi raconter.

Philosophie

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