Fixer ses tarifs

Petit retour d’expérience sur comment j’ai fixé mes tarifs.

Attention : ceci est un retour d’expérience. Je ne vends pas ça comme la méthode absolue. A vous de prendre ce qui vous intéresse et d’y rajouter votre propre sauce.

Le contexte

J’ai lancé mon activité il y a 3 ans en micro entreprise. J’étais alors encore salarié à plein temps. Le but était de tester cette activité pour voir si elle était viable. Il y a un peu moins d’un an, je suis passé à plein temps, toujours en micro entreprise. Dans 6 mois, je passerai en EURL.

Cet article parle donc de fixer ses tarifs pour un vidéaste indépendant, en micro entreprise. En EURL (et autres statuts), c’est pas du tout pareil, pour plein de raisons. La première raison étant que le statut de micro entreprise est fait pour tester son business avant de basculer vers quelque chose de plus complexe. C’est pourquoi vous verrez qu’il n’y a rien de bien sorcier dans ce que j’ai fait.

Estimation des frais fixes

J’ai bêtement listé mes frais :

Les montants sont en TTC, car en me lançant j’étais en franchise en base de la TVA. Pas moyen donc de la récupérer.

Il manquait des choses, mais au moins j’avais une idée de mes dépenses. Quelques remarques :

  • La ligne « investissement matériel » était doublement fausse. D’un côté, j’ai investi beaucoup plus que ça la première année. Mais d’un autre côté, on va voir par la suite que le matériel, ça se facture. Donc si je rajoutais l’amortissement matériel à chacune de mes factures, je n’avais pas vraiment besoin de compter le matériel en frais fixes.
  • J’ai oublié de compter l’assurance responsabilité civile professionnelle.
  • Je n’assure pas mon matériel contre la casse ou le vol, car je trouve que cela n’en vaut pas la peine par rapport aux contraintes/coûts, mais c’est un choix personnel. C’est à compter si vous le faites.
  • J’aurais du rajouter des frais de location de locaux pour mes bureaux. J’ai commencé dans une pièce chez moi, ce qui n’est pas une raison pour ne pas le compter.

Estimation de la rémunération souhaitée

A partir de là, j’ai créé un tableau en rapportant mes frais et en saisissant mon salaire souhaité par mois.

J’ai mis 2000 € pour l’exemple, c’est un beau chiffre rond qui va être facile à analyser pour l’article, mais ce nombre est à votre discrétion. Un petit conseil : vous lancez votre boite, vous allez bosser comme des fous. Donc visez haut, histoire que ça en vaille la peine.

Calcul du chiffre d’affaires nécessaire par mois

On enrichit notre tableau avec une nouvelle ligne : on additionne notre salaire aux frais fixes. On obtient donc logiquement le chiffre d’affaire à réaliser.

Sauf que…

Calcul du CA avant impôts

… en micro entreprise, à peine un paiement reçu, on doit reverser un certain pourcentage à l’État ! Il faut donc faire encore plus de chiffre d’affaires pour prévoir ces cotisations. Pour ma part, c’était environ 23%. J’ai donc rajouté une ligne à mon tableau avec la formule de calcul qui allait bien.

Calcul du CA TTC

Tant que je restais en dessous d’un certain palier, je n’avais pas à encaisser la TVA. Mais j’ai quand même fait la simulation du montant TTC, car le but était évidemment de péter tous les paliers possibles.

Conclusion partielle

On fait une petite pose dans nos calculs et on regarde où on en est : si je veux me payer 2000 € à la fin du mois, je dois réaliser un chiffre d’affaires de 4000 € environ. Bref, pour l’instant je ne récupère pour ma propre besace personnelle que la moitié de ce que je fais payer à mon client. Et on va voir ensuite que c’est en fait encore moins que ça.

Estimation du nombre de jours travaillés en prestation par mois

On remplit une nouvelle donnée à la main. Sur les 20 jours (environ) d’un mois travaillé, combien le seront effectivement passés en prestation ?

J’ai mis 10 pour l’exemple et avoir des chiffres ronds. Ça veut dire qu’on passera les 10 autres jours du mois à faire de la gestion, compta, prospection, formation, etc.

Je pense en vérité que 10 est un nombre bien trop élevé, et que 5 serait beaucoup plus réaliste. Il ne faut pas non plus oublier nos 5 semaines de congés par an. Il faut prendre des congés, sinon votre travail vous tuera.

Calcul du tarif journalier

On y est ! C’est très simple : on divise notre chiffre d’affaire mensuel total par le nombre de jours de prestations qu’on va facturer.

Conclusion intermédiaire BIS

Pour notre exemple, on comprend donc que si on veut gagner 2000 € par mois, il va falloir facturer 10 jours à raison d’environ 400 € TTC par jour. Petite précision : en parlant en TTC, mes calculs deviennent faux. Car rappelez vous, mes frais fixes ont été listés en partant du principe que je ne pourrais pas récupérer la TVA. Mes calculs sont donc pessimistes. C’est pas grave : qui peut le plus, peut le moins.

Petit rappel à la mi-article : ce sont des chiffres d’exemple. Je suis personnellement au delà de ce tarif, car j’estime que je vaux plus que 2000 € de rémunération, et je fais moins de 10 jours de prestation par mois. Et puis nous sommes entrepreneurs, pas salariés : le chiffre d’affaire peut varier. Il faut toujours viser plus haut pour anticiper les périodes compliquées.

Affiner son tarif journalier

J’ai un tarif journalier différent en fonction du type de prestation : préparation de tournage, scénario, tournage, montage, tout cela a un prix différent, car les compétences requises ne sont pas les mêmes.

Pour estimer les écarts entre les différents types de prestations j’ai suivi les conseils de cette vidéo, qui propose de se référer aux tarifs intermittents :

Enfin, j’ai séparé mes compétences de réalisateur/cadreur des compétences de prise de son et de directeur photo. Très concrètement, vous allez me payer X € pour que je vienne filmer seulement des images brutes. Il faudra rajouter une certaine somme pour que je prenne le son. Et il faudra rajouter une somme supplémentaire pour tourner avec un éclairage non naturel. Ces sommes sont inférieures au prix d’une personne spécialisée, mais cela veut dire que je fais tout tout seul, donc avec un niveau de qualité moindre qu’une équipe de spécialistes.

Les frais variables

On est super content, on est à 400 € TTC par jour, et on a une prestation d’un jour de tournage et d’un jour de montage avec en plus un jour de préparation/scénario qui tombe ! Ça fait donc un devis à 3 x 400 = 1200 €, pas vrai ?

NON.

Il manque les frais variables spécifiques à la prestation.

Frais de déplacement et d’hébergement.

Je suis à 0.5€ du km + péages. Rien de bien passionnant à dire de plus.

Je n’ai pas trop poussé la réflexion sur comment tarifer les frais de train/avion/hôtel : je travaille beaucoup en local. Il y a des bons vidéastes dans toutes les villes, inutile de chercher à se déplacer en plombant son bilan carbone dans un monde qui n’en a pas besoin (les destination wedding videographers, je vous juge en silence). Quand il m’arrive de devoir me déplacer sur Paris, je reporte directement le prix du billet sur la facture tel quel, et je note le temps passé à faire les réservations : le total de ce genre d’opérations passe sur une ligne « jour de préproduction ».

Amortissement du matériel

Le matériel qu’on possède, ça se facture. Pour m’aider à l’estimer, j’ai fait un listing dont voici un extrait :

Pour chaque jouet, je rentre le prix et l’année d’achat. J’ai ensuite une formule faite maison et totalement foireuse qui me calcule un prix à la location par jour. Cette formule a été rédigée à tâtons, en regardant les prix pratiqués par les loueurs de matériel.

Je n’ai donc plus qu’à additionner tous les prix des joujous que je vais emporter sur une prestation pour obtenir le coût en matériel d’une prestation.

En vrai je ne m’amuse pas pour chaque devis à lister scrupuleusement chaque trépied, chaque objectif et chaque filtre à emporter : je fais une estimation grosse maille à partir des plus gros items.

Je n’ai pas de somme précise à donner, mais il faut se dire qu’en moyenne, pour une prestation donnée c’est un nombre à trois chiffres qui est dédié au matos.

N’oubliez pas de rajouter votre matériel de montage dans votre listing.

Droits de diffusion

Je vais pas trop m’étendre sur ce sujet, de peur de dire trop de conneries. Sachez juste que c’est un vrai sujet et que vous devez vous y intéresser.

Tous les autres trucs

Costumes, accessoires, repas, locations, musiques… Tout ceci doit rentrer dans votre facture, en plus de votre tarif journalier.

Tarifs dégressifs et prix psychologique

Une fois le total calculé de mon côté, je regarde le budget que compte mettre le client (car il faut connaitre cette variable). Et j’essaie d’accorder les deux. Plus j’ai de jours de travail sur une prestation, plus je serai enclin à arrondir un petit peu la somme pour me rapprocher d’un budget serré. Ou pour rester sous la barre d’une certaine somme. Je préfère présenter un devis à 4900 € qu’à 5034 €.

Si le delta entre mon estimation et le budget du client est trop grand (je n’attends pas la rédaction du devis pour le voir, ça se sent très vite dès les premiers échanges), on rebat les cartes : on remet à plat le besoin, et on essaie de trouver une solution pour simplifier la prestation si nécessaire.

La valeur aux yeux du client

Tous ces calculs ne tiennent pas compte d’un aspect important : la valeur qu’a la vidéo pour un client. En omettant cet aspect, on peut se retrouver avec un devis à 5000 € pour une publicité d’un petit commerce qui n’a absolument pas ce budget là. Ou à l’inverse pour une marque solide pour qui c’est un budget tellement bas qu’il n’inspire pas la confiance.

Je peux baisser mes tarifs pour me rapprocher de la valeur perçue par mon client. Mais cela se fait avec des conséquences : je ne propose plus la couche de services qui viennent avec une prestation facturée au prix qui ne tient compte que de mon point de vue. L’idée, c’est de chouchouter les clients qui paient au prix fort, car c’est justement ce pour quoi il paient :

  • s’il commencent à faire plus de retours que prévu, c’est pas grave, on en prend quelques uns en compte, car on est sympa ;
  • s’ils nous demandent une capture d’un des rushes pour en tirer une photo à accrocher dans leur bureau, on le fait volontiers et rapidement (tout en prévenant que ça sera moche) ;
  • on les appelle pour leur donner des conseils sur l’exploitation de leur vidéo, sur l’intégration sur leur site ;
  • etc.

Je passe sur le fait que lorsque je vais me retrouver face à un questionnement au montage, j’irai vers la solution la plus simple pour un petit budget, alors que je prendrai plus de temps pour un budget plus conséquent.

Et alors, ces calculs, ça a donné quoi ?

3 ans après m’être lancé, je suis content de ces petits calculs qui m’ont donné des objectifs, de la lisibilité, et de la confiance en moi pour défendre mes tarifs.

Pour mes premières années j’ai beaucoup sous-estimé les dépenses en termes de logiciel et contenu : j’ai craqué beaucoup de pognon dans des outils pour débruiter les vidéos, des packs de sons, etc.

Maintenant, un nouvel écueil se dresse devant moi : avec la taille de mes projets qui augmente, je dois de plus en plus m’entourer sur les tournages. Je passe de prestataire technique individuel à boite de production. Or, le statut de micro-entreprise n’est pas fait pour ça, et je perds un pognon de dingue en TVA et en cotisations sociales. Il est donc temps pour moi de passer à la vitesse supérieure.

Le statut de micro entreprise a été donc très pratique pour se lancer sans trop de prise de tête et essayer des choses. Mais il faut garder en tête qu’il ne sert qu’à ça, et qu’il ne permet pas d’aller plus loin.

Et si on débute ?

Je vois beaucoup de débutants se dire qu’ils n’arriveront jamais à facturer une vidéo 2000 €, alors qu’en vérité c’est à peu près le minimum syndical si on est sérieux. Je peux comprendre le manque d’assurance dont ils font preuve. Moi même j’ai passé ma première année sans signer un seul contrat corporate, le temps de trouver des clients qui comprenaient la valeur de la vidéo.

La solution pour se lancer est peut-être d’accorder une ristourne de 30 à 50% sur la facture (mais pas plus que ça, sinon vous êtes un pigeon, et le client va le voir et en profiter). A ne faire que si vous avez besoin de cette vidéo pour vous faire un book à tout prix, car le votre est vide.

Une fois cette prestation à bas prix terminée, vous pouvez dire adieu à votre client : il ne paiera jamais plus cher par la suite, même si vous aviez bien écrit le tarif original sur votre devis. Et il ne vous recommandera qu’à des clients qui auront le même genre de budgets. Attention donc à ne dégainer l’option « vidéo pas chère ou gratuite » que lorsque vous voyez un intérêt immédiat pour vous : inutile de parier sur le long terme dans ce genre de cas.

9 Comments

  1. Super je suis content, je suis en plein dedans et cela fait trois heures que je regarde mon devis sans savoir quoi mettre. L’entreprise à l’habitude de faire leurs vidéos avec un smartphone et ce n’est pas trop mal, il faut que je sois raisonnable et crédible difficile 🙂

  2. Excellent article, complet et assez réaliste.
    Ne jamais sous, estimer son travail.
    Un point non négligeable et non abordé : au moment de l’établissement du devis, bien décrire le temps passé, le matériel utilisé et les bornes à ne pas dépasser comme le nombre de retours en correction pour les vidéos.

    Je garde ce lien sous le coude pour expliquer à de débutants comment évaluer un tarif pour ce genre de prestation.

  3. Bonsoir, je suis tombée sur ton blog par hasard ( en faisant une recherche de vacances, et j’ai dérivé haha ), et je le trouve super, et surtout cet article que j’ai dévoré! Je suis d’accord avec tout ce que tu dis ( meme si j’ai du mal à l’appliquer), en tout cas merci pour la générosité de tes partages! Bonne continuation, Clara.

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