ATHENA : les « faux » plans-séquences

Athena regorge de plans-séquences de fou furieux, mais il y a une chose que l’excellent making-of ne mentionne pas clairement : je pense qu’au moins une partie d’entre eux est constituée de plusieurs prises, raccordées entre elles au montage de manière quasi invisible.

Et vu que j’aime bien décortiquer ces coupes cachées et que le film a l’air de les dissimuler incroyablement bien (pas comme d’autres), j’ai essayé d’en trouver le maximum.

NB : je n’ai pas assisté au tournage. J’émets des hypothèses. Il est toujours possible que je me foire totalement. Et si jamais j’ai juste, cela n’enlève rien au travail de dingue effectué sur ces films et au résultat visuel qui est fou. Le cinéma c’est de la triche en permanence.

La principale coupe supposée dont je parle dans cet article est visible dans le teaser du film :

Le plan d’intro

Un long plan séquence de 9 minutes dans lequel on a du feu, une voiture bélier, de l’intérieur, de l’extérieur, des dizaines de figurants, des véhicules, plusieurs kilomètres de distance, de la prise de vue aérienne. Rien qu’en listant tout ça, on se rend compte qu’il est peu probable d’arriver à tout tourner d’une traite, notamment du point de vue sécurité.

Le making of tend à confirmer cela en montrant que la caméra n’est pas équipée/tenue de la même manière selon les sections du plan-séquence :

Steadicam
Épaule
Cage (j’ai cru à un gimbal au début, mais non)
Épaule encore
Drone

Il est théoriquement possible de passer la caméra d’une configuration à une autre pendant qu’elle tourne. Le cas le plus simple : la caméra sur steadicam décrochée à la volée pour passer en configuration épaule. Chose déjà faite dans Knives Out, pas pour un plan séquence mais pour une raison « plastique » :

Mais pour monter la caméra sur un drone pendant qu’elle tourne, je doute que ce soit possible avec le matériel qu’on voit à l’image. Le making-of de 1917 montre comment ils réalisent ce genre de tour de magie, avec de la machinerie assez volumineuse et parfois 2 personnes qui tiennent la caméra stabilisée et l’attachent à des grues. Je ne vois rien de tout ça ici. Et surtout, si ces changements avaient été faits « en live », je pense que le making-of les aurait traités.

J’ai aussi l’impression que les caméras elles mêmes sont différentes d’un plan à l’autre, alors qu’un vrai plan-séquence implique une unique caméra. Je n’y connais rien en Arri et on ne voit pas très bien sur les images, mais j’ai l’impression qu’il y a plusieurs tailles de corps, et que les accessoires sont différents d’un setup à l’autre.

Le changement le plus intéressant pour moi est à la toute fin, juste avant que le drone s’envole.

Avant la coupe, la caméra est sur steadicam
Avant, voire peut-être pendant la coupe
Après la coupe, la caméra est montée sur drone

C’est la méthode classique de l’élément en avant plan qui cache la coupe pendant une fraction de seconde. Ici, l’homme torse nu et surtout son pote habillé en noir. Là où c’est impressionnant, c’est que ça ne se voit quasiment pas. Je n’ai remarqué que deux potentiels défauts en cherchant bien :

  • Le talkie walkie de l’acteur change légèrement d’inclinaison.
  • Sur la gauche du plan, en surveillant les pieds qui pendent et le graffiti de la tombe de la BAC, on remarque un truc qui cloche. Ces éléments semblent « revenir en arrière » après avoir passé le mec habillé en noir.

Il y a un troisième indice, qui est à la fois très discret et évident une fois qu’on le remarque : l’éclairage entre les deux prises n’a rien à voir.

Soleil couché, ou bien obstrué par les nuages
Soleil levé, ombres bien visibles

Je suis vraiment impressionné par la transition qui se fait super bien, c’est un mélange de préparation minutieuse au tournage et de grand savoir faire au montage/compositing/colorimétrie. Et c’est l’occasion de rappeler qu’au cinéma il n’y a pas (ou peu) de continuité d’éclairage qui compte, car personne ne remarque les différences. Un exemple de plus avec cette scène qui a toujours la caméra face au soleil, peu importe l’angle choisi :

Dernier indice allant dans le sens de la présence d’une coupe : dans le making-of, on voit des points au sol pour matérialiser le chemin que l’acteur doit suivre, afin qu’il puisse répéter son passage plusieurs fois.

Je suis pense qu’il y a d’autres coupes dans ce premier plan, mais je ne suis pas certain de leurs positions. Voici quelques supputations :

Au moment de lancer le molotov, l’autre bras du personnage passe devant la caméra. Ça permet de couper juste avant le moment crucial du cocktail molotov qui explose et de le préparer sereinement. D’ailleurs, j’imagine qu’il y a du numérique quelque part : une fausse bouteille en l’air, ou bien une vraie bouteille mais avec une flamme numérique. Et peut-être une fausse explosion, ou bien une explosion enrichie numériquement, car j’ai du mal à imaginer une gerbe de flamme proche d’autant de figurants/cascadeurs qui semblent peu protégés, même en jouant sur la perspective et la profondeur.

En fait j’ai l’impression que l’explosion est totalement fausse, car elle est beaucoup trop belle et parfaite : un beau champignon qui monte bien droit, de belles couleurs propres. Mais je ne suis ni artificier ni expert en VFX. Après tout, il existe plein de phénomène réels qui semblent totalement faux :

https://www.youtube.com/watch?v=2fu9mRBx5BE

A l’entrée du commissariat, juste après la voiture bélier. Dès que je vois la caméra frôler un gros poteau dans un plan séquence, mon radar à coupe s’active. L’occasion pour l’équipe de sécuriser le lieu du crash et de remplacer le cascadeur au volant par les acteurs pour la suite.

Ce passage me semble beaucoup trop naturel pour être une coupe, mais je ne vois que ça comme explication : on passe de la steadicam à l’épaule alors que les personnages passent devant la caméra avec le coffre à armes. J’ai l’impression de voir un jeu de recadrage et déformations d’image pour raccorder deux prises. Et je trouve que la porte s’assombrit, comme si l’exposition entre les deux prises était légèrement différente. Ce film m’obsède bordel.

Enfin, une coupe qui me semble assez irréfutable, lorsqu’on sort de la camionnette :

Avant
Après

Dans le camion, on est en caméra épaule. Une fois sorti, on est sur un stabilisateur (Steadicam probablement). Le feu dans la poubelle a changé, il est beaucoup plus petit. Et il y a des sacs en plastique au pied de l’escalier qui n’apparaissent qu’après la coupe. Encore une fois, je trouve la transition super naturelle, c’est vraiment soigné, bien au dessus de ce qui s’est fait ces dernières années. Et puis il y a une super astuce : l’acteur sort une réplique (en hors champ) pendant la coupe. Ça renforce l’illusion.

La scène de l’assaut

Le making-of s’attarde bien sur le début du plan fait à la grue. Mais il ne parle pas de la suite : la caméra continue sur l’esplanade, bien en dehors de la portée de la grue. Il y a peut-être une coupe au moment où l’on passe le parapet, grâce à la silhouette d’un CRS qui fait office de volet, le tout avec un mouvement de bras gauche un peu bizarre si on s’y attarde :

Les coupes faciles

Le film regorge de potentielles coupes « faciles » que je ne vais pas lister ici : l’utilisation de fumée, de passages dans le noir et autres moments de confusion semblent tous au rendez-vous, mais c’est super bien foutu. C’est fluide, ça marche.

D’ailleurs, ces moments sont tellement nombreux que tous ne sont pas utilisés pour masquer des coupes. Peut-être que certains volets sont « naturels », ou bien qu’ils sont prévus en guise de « point de sauvegarde » au cas où la prise foire et qu’on ne veuille pas tout recommencer depuis le début.

Mystère sur le plan final

Le plan final avec sa caméra qui passe à travers une fenêtre n’est pas expliqué dans le making-of. Je suppose qu’il s’agit d’un plan composite : l’intérieur est filmé en studio. Le cadreur passe par la fausse fenêtre tranquillou. Ce métrage est ensuite incrusté dans une image de drone du bâtiment. Pour aller à fond dans le complotisme, je dirais que ce plan très retouché n’est pas mentionné dans le making-of car ce dernier se concentre sur l’expérience de tournage en décor réel. Mais je peux me tromper.

Cinéma

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