La ringardisation du plan-séquence

Depuis quelques années, les plans séquences dans les films d’action, c’est de la merde.

Les fautifs

Voici ce qui me défrise, avec Atomic Blonde en exemple :

Tout le fight à partir de 30 secondes est gavé de coupes ultra visibles, souvent basées sur le même principe : un acteur empoigne l’autre, et l’envoie vers la caméra qui se met à filmer son dos en gros plan. Le moment parfait pour couper la caméra et préparer une autre prise, qui en général commence par une grosse cascade (un personnage qui se fait envoyer contre un mur) puis enchaine quelques échanges de coups basiques pour repartir sur une nouvelle coupe foireuse, et ainsi de suite.

Nouvel exemple avec Hitman’s bodyguard et ces deux plans séquences qui se suivent :

Même principe que précédemment poussé à l’extrême, comme si il y avait une coupe à chaque coup qu’ils se donnent.

Une autre constante à ces deux films : les coupes masquées par le mouvement de la caméra qui pivote rapidement à 180 degrés, créant un flou de mouvement qui permet de cacher le changement de prise. Cela rend notamment très mal lorsque les personnages se lancent quelque chose dans la gueule : la caméra panote beaucoup trop doucement par rapport à la vitesse de l’objet.

Dernier exemple en date : Tyler Rake, qui se la pète avec 12 minutes de faux plan-séquence fait en 36 prises différentes mises bout-à-bout.

Toujours la même astuce de faire passer les persos très près de la caméra pile quand ils s’apprêtent à faire un truc de fou. 36 prises pour 12 minutes, ça fait une coupe toutes les 20 secondes en moyenne.

Tous ces plans séquences me sortent du film. Je ne suis plus concentré sur ce qui est raconté, mais sur comment c’est raconté. Comme pour trouver Charlie, on scrute l’écran pour trouver où est le raccord entre deux prises.

Les bons élèves

Le premier Kingsman, à partir de 38 secondes :

En soi, c’est visuellement assez proche des précédents exemples que j’ai cités : les coupes sont masquées par des passages au premier plan de figurants et des zooms numériques qui font vaguement correspondre les prises. C’est ultra visible. Mais je trouve que c’est justifié par le scénario : à ce moment le personnage est en transe, en pleine frénésie meurtrière. Ça part en couille, pour faire simple. Donc avoir recourt à un court plan-séquence (on ne force pas le truc pendant 10 minutes comme certains exemples précédents) totalement abusé et qui ne trompe personne, cela me semble acceptable. Le fond justifie la forme.

Je pense aussi que Kingsman a l’avantage de la primeur : je ne sais pas si d’autres films ont été aussi outranciers dans ce style avant lui. Peut-être que c’est lui qui a ouvert la voix. Comme Matrix qui avait donné naissance à plein de films utilisant le bullet-time de manière ringarde, ou les Jason Bourne qui ont engendré des Taken-like gerbants.

Exemple à la fois très proche et très éloigné : n’importe quelle scène d’action de The Raid 1 et 2.

Ici, aucun plan séquence. Il y a du découpage très judicieux, du champ/contre champ, et quand même des plans assez longs. C’est ce qui m’énerve le plus avec les faux plans séquences foireux : si l’on assumait les coupes au lieu de les masquer avec des procédés moisis, ces combats seraient excellents et se rapprocheraient du niveau des The Raid. Pris indépendamment, chaque morceau de plan séquence de Tyler Rake, Atomic Blonde et Hitman’s Body Guard est le résultat d’énormément de travail, et il rend très bien. Ce qui fait verrue, c’est le raccord tout pourri qui est rajouté avec la prise suivante.

Enfin, je termine avec deux vrais plans-séquences. Cet épisode de True Detective :

On voit des points de raccord régulièrement : la caméra s’égare un peu, elle filme « du vide » pendant quelques fractions de secondes, par exemple à 2:51 avec l’hélico. Ce sont des sortes de points de sauvegarde au cas où le tournage foirait. Cela permettait de ne pas recommencer à tout tourner depuis le début, puis faire des raccords numériques en post-prod. Finalement, ils ont réussi à tout tourner d’un coup, ces passages n’ont pas eu à être trafiqués.

Et un des nombreux plans-séquences de Children of Men :

Quasiment aucun raccord trafiqué. Il y en a un gros à 4:18, mais c’est le seul vraiment visible dans le film. J’ai vu dans le making of qu’il y en avait d’autres, comme sur cette scène :

Il y a une énorme coupe avec transition numérique à 37 secondes quand le chien ressort. Je le sais car le réalisateur l’a dit, sinon je ne l’aurais jamais deviné.

De manière générale, Children of Men justifie ses plans séquences par le fait qu’on l’on traverse un univers en le découvrant au fur et à mesure. L’usage du plan séquence est dans la continuité du choix de point de vue très strict que suit le film : on est toujours avec le personnage de Clive Owen. On ne le lâche pas. On voit tout de son point de vue.

Ras la casquette

Le plan séquence du pauvre, c’est le nouvel effet de mode des films d’actions à budget maitrisé. Une façon économique d’en mettre plein la vue à un public pas trop exigeant. Car le réalisateur de Tyler Rake l’a lui même dit : tourner la séquence de 12 minutes en pseudo-plan séquence a été bénéfique en termes de budget. Cela va plus vite de prendre le temps de préparer une longue prise d’une minute que de multiplier les angles de vue sur plusieurs prises plus courtes. Et si au passage on peut caler un peu de publicité facile sur un soit disant plan séquence de fou, c’est tout bénéfice.

Cinéma, Montage, Philosophie, Tournage

2 Comments

  1. Pour ma part, le plan séquence auquel je pense à chaque fois, c’est celui de l’attaque du casino de Ouistream dans Le Jour Le Plus long.
    Je trouve ce plan toujours aussi superbe à chaque fois que je le vois : https://www.youtube.com/watch?v=qUgw7jygOYs
    Même la façon dont il est monté, ou il se termine avec un champ/contrechamp sur la tête du Commandant Kieffer dégouté de tomber sur de l’artillerie. 👌

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